Laurent Costy, administrateur de l’April et co-animateur du goupre de travail Libre Association, a publié dans « Linux Pratique n°84 » une tribune intitulée « Pourquoi les associations doivent faire l’effort d’utiliser le plus grand nombre possible de logiciels libres ? ». La tribune est désormais disponible au format PDF et au format ODT et ci-dessous :
Pourquoi les associations doivent faire l’effort d’utiliser le plus grand nombre possible de logiciels libres ?
Quelques données sur les associations
D’une manière générale
Avant d’aborder la question du lien entre associations en France et logiciels libres, il est important de mesurer ce que représentent les associations en France pour mieux mesurer le potentiel de migration vers le libre qui existe et les clés pour le favoriser. Les quelques chiffres repris ci-après sont issus de « l’instantané »1 produit pour le mouvement associatif, qui est en quelque sorte la structure la plus importante en terme de représentation des associations en France. Ainsi, le nombre d’associations avoisinait2 en mars 2012, le nombre d’1,3 million. Il est estimé que cela représente 23 millions d’adhérents et 16 millions de bénévoles. Par ailleurs, fait important qu’il nous faut considérer pour cette tribune car influençant la manière d’approcher les associations pour les inciter à adopter plus massivement le logiciel libre : plus de 85 % d’entre elles n’ont pas de salariés. Pour les structures exclusivement bénévoles, l’approche individuelle ou grand public menée par de nombreux GULL3 sur les territoires ou par les associations nationales telle l’April4, est donc une action essentielle qui contribue à l’adoption de logiciels libres dans les associations. Enfin, pour terminer avec le panorama, on notera que :
« La multiplication très rapide des collectifs, coordinations, comités et l’explosion des réseaux sociaux qui peuvent être considérés comme des associations de fait vont très vite conduire à reconsidérer cette évaluation qui est fondée pour l’essentiel sur le nombre d’associations repérées comme telles dans les guides communaux. »5
Les associations d’éducation populaire, une classe d’associations particulière
Il existe une classe d’associations sans doute plus sensible que les autres à la migration vers les logiciels libres : les associations de jeunesse et d’éducation populaires. En effet, les valeurs que ces associations portent et défendent convergent avec celles mises en avant par les libristes. Il reste difficile de définir6 en une phrase ce qu’est l’éducation populaire7 mais les logiques de partage, la formation tout au long de la vie, l’entraide, la coopération et la capacité à rendre les citoyens acteurs, sont quelques valeurs convergentes. Le nombre de ces associations se revendiquant de l’éducation populaire serait de l’ordre de 430 000 (soit 49 % du nombre total d’associations en France) selon les chiffres communiqués par le CNAJEP8.
Pourquoi les associations doivent poursuivre leurs efforts de migration vers les logiciels libres ?
C’est une manière pour elles d’agir et de transformer, par leurs choix et leurs actions de migration, une informatique propriétaire devenue folle et imposant désormais son monopole au mépris des usagers. Que l’on soit pour ou contre les logiques de marché, l’excès est condamnable et doit être combattu : les systèmes de rentes instaurées par exemple par les licences et les antifonctionnalités qui en découlent, sont néfastes pour la libre circulation de l’information et l’émancipation du citoyen. Ceci étant, une migration, qu’elle soit partielle ou totale, demande un effort et il est systématiquement chronophage que de vouloir s’affranchir de systèmes auxquels chacun s’est habitué ! Bref, de l’énergie est nécessaire mais l’effort est aussi une valeur de l’éducation populaire !
Il y a donc une prise de conscience nécessaire, un réel besoin de considérer enfin la question de la préférence systématique aux logiciels libres comme une réelle question politique au sein des associations et éviter de reléguer cela sans cesse à une unique problématique technique. Oui, faire l’effort, à chaque fois que cela est possible pour une association, d’opter pour le logiciel libre doit être pensé, débattu et choisi au sein des instances des associations (conseils d’administration ou assemblées générales par exemple).
Pour conclure cette partie, les propos de Christophe Sarrot, repris par Nathalie Boucher-Petrovic lors des RMLL 20069 à Vandoeuvre sont éloquents et significatifs :
« Connaître, utiliser, promouvoir et développer des logiciels libres est un enjeu important pour l’éducation populaire aujourd’hui. Non pas tellement parce qu’ils sont, bien sûr, une réponse fiable, simple et économique à des besoins techniques, mais surtout parce que leur existence est due à des pratiques qui fondent l’éducation populaire et qui veulent permettre la transformation des personnes et des outils par un libre échange des savoirs, pour un mieux vivre ensemble. »
Au delà, des logiciels libres et du système d’exploitation…
La question du respect de la vie privée et de la protection des données concernent évidemment aussi votre association : respecter vos adhérents, c’est d’abord maîtriser la sécurité des données collectées et éviter qu’elles ne soient utilisées à d’autres usages que ceux prévus initialement. C’est d’autant plus important depuis les révélations d’Edward Snowden et la mise en évidence des écoutes généralisées par les gouvernements. Là encore, le logiciel libre est une voie pour tenter de mieux maîtriser ses données : soyons clairs, le logiciel libre ne pourra jamais garantir la sécurité absolue de vos systèmes. Ceci étant (au delà même de la problématique centrale de l’humain assis sur la chaise devant l’écran qui est souvent la cause des fuites de sécurité), de part sa nature ouverte, le logiciel libre permet, quant on le souhaite et avec les compétences ad’hoc, d’analyser si des défauts de sécurité existe.
Bien sûr, la question de la maîtrise technique est centrale mais est-ce à dire que chaque bénévole ou salarié d’association se doit d’être un expert informatique ? La réponse est clairement non. Sur ce point, une solution peut consister à tisser un réseau de confiance et de compétences pour pouvoir être éclairé le moment venu et faire des choix pertinents : c’est heureusement une compétence des réseaux associatifs ! En effet, les réseaux associatifs ont cette capacité à mutualiser, partager des compétences et c’est aussi un savoir faire des fédérations : il convient donc de renforcer cette compétence pour permettre une plus grande adoption des logiciels libre et une meilleure maîtrise des enjeux politique et technique de l’informatique. Un autre effort doit être fait aussi pour appréhender une culture technique minimum. La formation, en particulier celle des bénévoles, est une clé pour cela.
Oui, pour limiter les risques d’usages inopportuns des données concernant votre association ou ses membres, là encore, un effort va devoir être produit : il vous faudra limiter et diversifier l’usage de ces services pseudo-gratuits qui nous apparaissent plus rapides, plus faciles, plus séduisants. Il faut tenter de trouver un service alternatif plus respectueux des données personnels. Les communautés de développeurs de logiciels libres font chaque jour des efforts importants pour répondre à vos besoin associatifs et rendre toujours plus simple l’usage pour les utilisateurs ayant peu de compétences. On peut citer par exemple l’outil Framadate10 mis en place par Framasoft11 qui permet, sans que les donnée ne soient analysées à votre insu, de mettre en place de simples sondages (dates, consultations simples).
Encore une fois, quand tout est simplifié pour soi-disant vous faciliter la vie, le revers de la médaille est que l’on ne maîtrise plus les aspects techniques et que l’on ne distingue plus ce qui relève de la technique pure ou de dispositifs mis en place pour préserver un acquis commercial (comme le sont par exemple les DRM12). Rappelez-vous que si c’est gratuit, c’est vous le produit (profitons d’ailleurs de cette remarque pour rappeler que « libre » dans « logiciel libre » ne veut pas dire « gratuit »). Bref, faisons le pari de l’effort et défendons une éthique informatique autour du libre en cohérence avec nos valeurs associatives et celles de l’éducation populaire en particulier.
Et concrètement ?
Quand l’association décèle un nouveau besoin d’outil informatique, le réflexe doit d’abord être la recherche d’un logiciel libre répondant à ce besoin : la logithèque de logiciels libres couvrent la majeure partie des besoins des associations. Le guide des logiciels libres pour les associations13 téléchargeable sur le site libreassociation.info et produit par le groupe de travail éponyme de l’April, aborde cette question et présente des logiciels libres qui ont fait leurs preuves en milieu associatif.
Enfin, le changement se prépare et s’accompagne. Vouloir changer du jour au lendemain un logiciel privateur utilisé de longue date au sein de l’association est le meilleur moyen de générer un effet contre-productif et de voir les utilisateurs rejeter le logiciel libre : la formation et l’accompagnement des utilisateurs sera une clé de la réussite de migration partielle ou totale pour votre association.
Informations sur la tribune
Cette tribune a été écrite par Laurent Costy, administrateur de l’April et co-animateur du goupre de travail Libre Association (http://www.libreassociation.info). Elle a été publiée dans « Linux Pratique n°84 » de juillet/août 2014.
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Notes
1 Archambault Edith & Tchernonog Viviane, Repères sur les associations en France, Centre d’économie de la Sorbonne, CNRS, université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, mars 2012
2 Il s’agit bien sûr d’une approximation puisqu’il reste difficile de mesurer précisément les associations qui meurent ou qui sont « en sommeil ». Cependant, ne sont pas comptées ici les associations « de fait », les collectifs, ou les communautés sur internet
3 Groupe d’utilisateurs de logiciels libres
4 Association pour la promotion et la défense des logiciels libres : http://www.april.org/
5 Archambault Edith & Tchernonog Viviane, Repères sur les associations en France, Centre d’économie de la Sorbonne, CNRS, université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, mars 2012
6 François Tétard, historienne de l’éducation populaire a écrit à ce sujet : « L’éducation populaire est par définition indéfinissable, mais c’est un ressenti partagé ! »
7 Pour en appréhender le périmètre : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ducation_populaire
8 Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire : http://www.cnajep.asso.fr/
9 Communication-RMLL-2006-Education-populaire-et-logiciels-libres-NBP.pdf
10 http://framadate.org/
11 http://www.framasoft.net/
12 Digital right managment. Pour en savoir plus : https://www.april.org/publication-april-synthese-sur-les-drm
13 guide-libre-association-version-1.0.pdf
Source April